
L’exil en partage : Marseille, topos littéraire et lieu de mémoire croisée chez Anna Seghers (Transit, roman, 1944) et Christian Petzold (Transit, long-métrage, France/Allemagne, 2018)
Septième long-métrage du réalisateur allemand Christian Petzold (*1960), Transit est une adaptation libre du roman éponyme d’Anna Seghers (1900-1983), écrit sur les lieux où se déroule le récit, à Marseille, et achevé à Mexico quelques mois plus tard. Le film confronte de façon originale la fuite des résistants juifs devant l’avancée des troupes nazies dans l’Europe des années 1940, telle que dépeinte dans le roman de Seghers, avec la situation actuelle des exilés africains cherchant à gagner l’Europe. Son approche audacieusement anachronique confère une résonance et une pertinence nouvelles au roman canonique de la résistante juive communiste Anna Seghers, à une époque où de nombreux expatriés cherchent désespérément non pas à quitter l’Europe, mais à y entrer.
Le séminaire abordera à partir de cet exemple les questions conjointes de la représentation de la « crise des migrants » de 2015, d’une part, et de la transmission de la mémoire des persécutions, de la résistance et de l’exil dans l’Europe des années 1940, d’autre part. Comment appréhender aujourd’hui l’histoire de la résistance à la dictature dans l’Europe dominée par le nazisme, et comment transmettre la mémoire de cette expérience historique ? Les mouvements migratoires récents vers l’Europe, déclenchés par la répression d’une série de soulèvements populaires qu’on a appelés les « printemps arabes », ont placé les démocraties européennes devant des défis inédits. Dans ces sociétés édifiées sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, qui portaient la promesse d’une Europe meilleure, la détresse de populations en quête d’asile, fuyant des pays frappés par la misère et la guerre civile, a bientôt été reléguée au second plan par rapport aux difficultés que ces sociétés rencontraient à leur égard. Le discours catastrophiste de la « crise migratoire » a contribué à donner l’impression que cette « vague » (sic) d’êtres humains en déroute représenterait davantage une menace pour le modèle européen lui-même que pour les personnes concernées. Après une première phase marquée, en Allemagne, par une politique d’hospitalité et d’intégration, ce discours de crise n’a pas tardé à justifier l’adoption, à l’échelle européenne, d’une politique de « fermeté » visant à fermer les frontières et à limiter l’immigration. Dans ce contexte, la question de savoir dans quelle mesure la métaphore d’une Europe « forteresse » (à défendre coûte que coûte contre des envahisseurs hostiles) est compatible avec les idéaux mêmes sur lesquels l’Europe s’est reconstruite après 1945 est souvent éludée par renvoi à des différences historiques réputées indépassables : toute ressemblance entre les circonstances dans lesquelles des citoyens européens quittaient leur patrie autrefois et celles dans lesquelles d’autres citoyens quittent aujourd’hui leur patrie lointaine serait fortuite et superficielle ; toute comparaison serait donc biaisée, outrancière et naïve.
En nous penchant sur le roman de Seghers, puis sur sa « remédiatisation » par Petzold, nous verrons comment la situation géopolitique produit des démarches esthétiques aptes à déconstruire les idées reçues, à décentrer le regard et à démanteler l'idée de cultures stables, nationales et monolingues. L’étude de ces deux œuvres nous permettra en outre de réfléchir, à partir du cas de Marseille, au concept de « lieux de mémoire » forgé par l’historien Pierre Nora, et envisagé initialement dans un cadre de référence national stable : existe-t-il des lieux de mémoire partagés entre plusieurs pays ? Quid des lieux de mémoire extraterritoriaux (comme l’est Marseille, mais aussi par exemple Sanary-sur-Mer, pour l’histoire allemande du XXe siècle) ? La cité portuaire française est depuis l’Antiquité un lieu d’accueil et de passage qui a vu transiter les populations les plus diverses, et qui en est resté profondément marquée.
Septième long-métrage du réalisateur allemand Christian Petzold (*1960), Transit est une adaptation libre du roman éponyme d’Anna Seghers (1900-1983), écrit sur les lieux où se déroule le récit, à Marseille, et achevé à Mexico quelques mois plus tard. Le film confronte de façon originale la fuite des résistants juifs devant l’avancée des troupes nazies dans l’Europe des années 1940, telle que dépeinte dans le roman de Seghers, avec la situation actuelle des exilés africains cherchant à gagner l’Europe. Son approche audacieusement anachronique confère une résonance et une pertinence nouvelles au roman canonique de la résistante juive communiste Anna Seghers, à une époque où de nombreux expatriés cherchent désespérément non pas à quitter l’Europe, mais à y entrer.
Le séminaire abordera à partir de cet exemple les questions conjointes de la représentation de la « crise des migrants » de 2015, d’une part, et de la transmission de la mémoire des persécutions, de la résistance et de l’exil dans l’Europe des années 1940, d’autre part. Comment appréhender aujourd’hui l’histoire de la résistance à la dictature dans l’Europe dominée par le nazisme, et comment transmettre la mémoire de cette expérience historique ? Les mouvements migratoires récents vers l’Europe, déclenchés par la répression d’une série de soulèvements populaires qu’on a appelés les « printemps arabes », ont placé les démocraties européennes devant des défis inédits. Dans ces sociétés édifiées sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, qui portaient la promesse d’une Europe meilleure, la détresse de populations en quête d’asile, fuyant des pays frappés par la misère et la guerre civile, a bientôt été reléguée au second plan par rapport aux difficultés que ces sociétés rencontraient à leur égard. Le discours catastrophiste de la « crise migratoire » a contribué à donner l’impression que cette « vague » (sic) d’êtres humains en déroute représenterait davantage une menace pour le modèle européen lui-même que pour les personnes concernées. Après une première phase marquée, en Allemagne, par une politique d’hospitalité et d’intégration, ce discours de crise n’a pas tardé à justifier l’adoption, à l’échelle européenne, d’une politique de « fermeté » visant à fermer les frontières et à limiter l’immigration. Dans ce contexte, la question de savoir dans quelle mesure la métaphore d’une Europe « forteresse » (à défendre coûte que coûte contre des envahisseurs hostiles) est compatible avec les idéaux mêmes sur lesquels l’Europe s’est reconstruite après 1945 est souvent éludée par renvoi à des différences historiques réputées indépassables : toute ressemblance entre les circonstances dans lesquelles des citoyens européens quittaient leur patrie autrefois et celles dans lesquelles d’autres citoyens quittent aujourd’hui leur patrie lointaine serait fortuite et superficielle ; toute comparaison serait donc biaisée, outrancière et naïve.
En nous penchant sur le roman de Seghers, puis sur sa « remédiatisation » par Petzold, nous verrons comment la situation géopolitique produit des démarches esthétiques aptes à déconstruire les idées reçues, à décentrer le regard et à démanteler l'idée de cultures stables, nationales et monolingues. L’étude de ces deux œuvres nous permettra en outre de réfléchir, à partir du cas de Marseille, au concept de « lieux de mémoire » forgé par l’historien Pierre Nora, et envisagé initialement dans un cadre de référence national stable : existe-t-il des lieux de mémoire partagés entre plusieurs pays ? Quid des lieux de mémoire extraterritoriaux (comme l’est Marseille, mais aussi par exemple Sanary-sur-Mer, pour l’histoire allemande du XXe siècle) ? La cité portuaire française est depuis l’Antiquité un lieu d’accueil et de passage qui a vu transiter les populations les plus diverses, et qui en est resté profondément marquée.
- Teacher: Meyer Christine