
Le terme « socialisation » appartient depuis le XIXè siècle au langage courant. S'il est resté d'un usage relativement restreint jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, il s'est ensuite popularisé sous l'effet de la diffusion d'une vulgate psychologique dans les familles françaises à partir des années 1970 puis, à partir des années 2000, de la circulation à large échelle des pratiques pédagogiques associées à l'éducation positive. On dit volontiers aujourd'hui d'un enfant qu'il est « bien socialisé » voire « bien sociabilisé », en signifiant par là qu'il est adapté à la vie en collectivité. Dans le langage ordinaire, le terme « socialisation » renvoie ainsi à la capacité individuelle à entretenir des relations normales avec autrui, à produire du lien social et, par extension, à « faire société », comme le veut une expression expression courante.
Ce terme recouvre en sociologie une tout autre signification : il désigne la façon dont la société forme et transforme les individus. Ce processus de (trans)formation implique une variété d'institutions dont l'action socialisatrice s'articule de manière complexe plus qu'elle ne s'additionne ou s'annule : famille, école, crèche et groupe de pairs bien sûr, mais aussi médias, publicité, travail, couple, organisations politiques et militantes... La socialisation ne réduit pas en effet à la prime éducation et à la petite enfance. Elle est un processus inachevé, inconscient quasi permanent d'acquisition (et/ou de renforcement) de manières d'être, de faire et de penser.
Est-ce à dire qu'il existe autant de socialisations différentes que d'individus ? Ce serait oublier que les instances de socialisation listées plus haut fabriquent des catégories d'individus (des petites filles, des petits garçons, des enfants bourgeois, des consommateurs, des cadres, des ouvriers...) – c'est-à-dire des groupes sociaux – plutôt que des personnalités uniques. L'analyse sociologique distingue ainsi communément les socialisations par les rapports de domination auxquels elles sont liées et par les dispositions qu'elles produisent : socialisation de classe (sociale), socialisation genrée, socialisation politique, socialisation corporelle...
Réfléchir à ces différents processus revient dès lors à ouvrir la boîte noire de la reproduction sociale pour chercher à en comprendre les mécanismes. Cette réflexion se décline aujourd'hui en une infinité de questions de recherche qu'explorent les sociologues : comment les différentes instances de socialisation contribuent-elles concrètement à fabriquer des individus genrés ? De quelles manières la socialisation d'un enfant de cadres, sa scolarité, ses loisirs, ses fréquentations et ses espaces de vie le prédisposent-ils efficacement à occuper une position socio-professionnelle analogue à celle de ses parents ? Quelles places respectives la famille, l'école, les pairs ou l'environnement matériel occupent-ils dans ce processus ? Ces différentes instances « travaillent-elles » toutes l'enfant dans le même sens ? La famille constitue-t-elle forcément une instance de socialisation homogène ? En quoi le couple (adolescent ou adulte) peut-il être un espace de transmission de manières d'être, de faire ou de voir le monde, et sous quelles conditions ? Quel poids les processus de socialisation occupent-ils dans l'explication de notre rapport aux autres groupes sociaux, à la politique, à l'argent, au temps, à l'espace, au corps ou à l'amour ?
Partant de ces éléments et de ces interrogations, ce séminaire de recherche poursuit plusieurs objectifs. Il vise d'abord à familiariser les étudiant·es avec les travaux sociologiques contemporains sur la socialisation (avec un focus sur l'enfance et l'adolescence) à travers la lecture et l'analyse d'un ensemble de textes portant sur divers objets : apprentissage de la propreté, du « bien parler », du rapport au temps et à la contrainte, socialisation émotionnelle, fabrique du corps bourgeois, anorexie, socialisation familiale des enfants et adolescent·es dits « HPI »,... Ce séminaire vise deuxièmement à former les étudiant·es aux spécificités de l'enquête par entretiens ou par observations auprès des enfants, d'adolescent·es de familles ou de professionnel·les de l'éducation en leur transmettant un ensemble de ficelles et de références bibliographiques récentes sur ce thème. De manière plus pragmatique, ce séminaire vise enfin à préparer efficacement les étudiant·es aux épreuves des concours (compositions et entretien) en leur assurant une solide connaissance des processus de socialisation ainsi que des mondes de l'enfance et de l'adolescence.
En termes d'investissement, le suivi de ce séminaire suppose la lecture à la maison des textes étudiés en classe (un texte par séance) ainsi que d'un ouvrage (au choix dans une liste) au cours de l'année universitaire. L'accompagnement (individuel) proposé couvre l'ensemble des étapes du processus de recherche, afin de suivre l'étudiant·e pas-à-pas : délimitation du sujet, choix de la problématique, identification du terrain d'enquête à ouvrir, constitution d'une bibliographie adaptée, structure du plan, etc.
- Enseignant: MASSEI Simon